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La rénovation de la politique française de développement

Tribune du Groupe initaitives

Le premier Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du quinquennat d’Emanuel Macron s’est tenu le 8 février 2018. L’objectif de ce Comité était de donner un cadre stratégique et opérationnel aux premières annonces faites par le chef de l’État relatives à la solidarité internationale. Celle qu’il fit le 19 septembre 2017 à la tribune des Nations-unies est explicite : « Je veux que la France soit au rendez-vous de l’aide publique au développement ». Et il poursuivit en fixant un objectif et une échéance : « C’est pourquoi j’ai décidé que la France jouerait son rôle en fixant l’objectif de consacrer 0,55 % de notre revenu national pour l’aide publique au développement d’ici cinq ans. »

Comment mobiliser plus de moyens ? Affecter le produit de la taxe sur les opérations financières

Point positif, des engagements chiffrés du CICID semblent conforter ces annonces. Mais examinons les chiffres. Pour l’année 2017, le total de l’aide publique au développement (APD) française est estimé à 9 milliards d’euros. Avec une croissance économique annuelle projetée à 1,7 % par an, 0,55 % du RNB en 2022 représenterait une cible d’APD de 14,8 milliards d’euros. Par conséquent, l’augmenter 5,8 milliards en cinq ans nécessiterait une hausse de plus d’un milliard par an. La circonspection est donc de mise sur cette trajectoire d’augmentation très volontariste, que les Britanniques et les Allemands ont suivie scrupuleusement ces dernières années pour figurer aujourd’hui parmi les pays vertueux de l’OCDE. En France, on ne la retrouve en effet pas traduite dans la loi de finances 2018, loin de là, puisque l’augmentation de l’APD budgétée n’est de l’ordre que de 100 millions.

Si le gouvernement veut atteindre l’objectif fixé par le chef de l’État, sans effort budgétaire et fiscal supplémentaire, il n’a guère le choix. La meilleure option est d’augmenter la part destinée à l’aide au développement des ressources tirées de la taxe sur les opérations financières qui est assise sur les opérations d’achat d’actions de sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros. Cette part est actuellement de 50 %, l’autre part est reversée au budget général. La faire passer à 75 % rapporterait à l’aide 400 millions additionnels.

Une autre formule résiderait dans une augmentation du taux de taxation sur ces transactions ou dans l’élargissement de l’assiette aux transactions intrajournalières. Des décisions qui iraient certainement dans le bon sens aux yeux de l’opinion publique : financer la solidarité internationale sur les transactions financières excessives, voire abusives. Mais de la taxe, il n’en est pas question dans le CICID. Ce qui fait naître le scepticisme sur la faisabilité de la promesse, laquelle est inscrite dans une histoire décevante d’annonces d’augmentation réelle de l’aide française.

Plus de moyens pour quoi faire ? Pour faire autrement surtout, avec les partenaires d’abord

De nombreux rapports récents plaident pour une aide française « plus qualitative, catalytique et durable dans ses effets », portée par de nouvelles « coalitions d’acteurs » : État, secteur privé, collectivités locales, associations, fondations. Ces idées semblent avoir inspiré certaines conclusions – positives - du CICID, sur l’humanitaire notamment. Les acteurs non-étatiques ont été consultés et certaines de leurs recommandations ont été prises en considération. On ne retrouve pourtant pas dans le relevé des conclusions du CICID du 8 février 2018 la volonté exprimée par le chef de l’État lors de son voyage en Afrique, à l’Université de Ouagadougou le 28 novembre dernier précisément, d’avoir une coopération plus efficace et donc davantage en proximité avec les bénéficiaires finaux.

Les acteurs de la société civile, les ONG, les collectivités locales ont seulement droit à deux courts paragraphes sur une centaine que compte le relevé, avec la promesse de doubler les moyens budgétaires qui leur sont alloués (comme le fit François Hollande, mais avec un médiocre résultat), ce qui est ridicule tant le niveau de départ (3 % de l’aide française en 2017) est bas, comparé à la moyenne de l’OCDE (entre 13 % et 17 %). Cette faiblesse des financements français est la marque du modeste intérêt de la France pour ses ONG, leurs initiatives et expertises, qui, par conséquent, ne jouent pas avec les mêmes atouts de départ que leurs alter ego dans d’autres pays (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Belgique, Allemagne…).

Le jacobinisme technocratique reste bien ancré en France au détriment d’une coopération proche du terrain et en écoute des préoccupations des acteurs du Sud. Les bonnes idées qui avaient présidé à l’adoption de la Loi d’orientation sur le développement et la solidarité internationale de juillet 2014 (dite Loi Canfin) et qui constituaient une véritable avancée démocratique pour la politique de développement de la France, sont-elles oubliées ? Le gouvernement recentre.

L’on craint de retrouver là le défaut majeur, endémique, de l’aide française : pas une ligne sur les modalités de partenariat avec les acteurs locaux pas de cadre de concertation paritaire, pas de raccordement aux réseaux locaux pour identifier les vrais « porteurs de changement » et favoriser la responsabilisation des bénéficiaires, seul gage de la pérennité des actions, pas de relais dans les associations impliquées dans la défense des droits.

La France a encore du chemin à faire pour comprendre que l’aide ne peut pas avoir un effet positif tant qu’elle est accordée en fonction de programmes déterminés par des « planificateurs professionnels » extérieurs aux réalités locales, installés dans une tour d’ivoire, oubliant le sens du mot « co-opération » - opérer ensemble - et dans l’incapacité de prendre en compte toutes les complexités pratiques auxquelles les acteurs de terrain sont confrontés.

La vraie rénovation de l’aide française consistera à reconnaître avant toute chose que la logique d’intervention en cette matière est devenue celle de la symétrie horizontale, du cadre partagé d’analyse et d’actions, de la co-construction et de la co-évaluation, de l’appui aux dynamiques de proximité entre acteurs – associatifs, décentralisés, publics et privés –, des liens de territoire à territoire, et enfin des garanties de transparence et de redevabilité.